Et si le problème des écrans, c’était les parents ?


Le témoignage a tout du classique de la vie quotidienne contemporaine. « Quand il sort son téléphone à table, on lui fait les gros yeux. Parfois, il ronchonne un peu et le pose, d’autres fois, il se vexe et se justifie. » Sauf que celle qui parle n’est pas une mère accablée par l’impolitesse de son ado, mais une jeune adulte. Eva, 19 ans, est désemparée par les pratiques numériques de son père, 52 ans. « Depuis le Covid, il a pris l’habitude de traîner sur les réseaux, raconte l’étudiante parisienne, qui a requis l’anonymat. Quand il regarde la télé, par exemple, il prend son téléphone parce qu’il reçoit une notification. Mais après l’avoir consulté, au lieu de reposer son smartphone, il traîne sur LinkedIn. Il swipe et, quand on le lui reproche, il nous dit que c’est pour le boulot. Certes, son travail est prenant, mais LinkedIn, ce n’est pas toujours du boulot… », raille-t-elle tendrement.

Des enfants qui font « les gros yeux » à table ; des parents qui quémandent quelques minutes supplémentaires, comme on négocierait une troisième fraise Tagada… Pendant la réunion de service, au journal, notre directeur artistique n’a pas eu besoin d’aller puiser l’inspiration très loin pour l’illustration de cet article. « Nos trois enfants, qui ont près de 30 ans, nous reprochent d’être rivés aux téléphones, a-t-il raconté. Quand on regarde la télé et que, dans le même temps, on scrolle sur nos smartphones, ils nous disent : “Papa, maman, arrêtez de consommer !” »

La question pourrait donc se formuler de cette manière : et si les plus accros n’étaient pas ceux qu’on croit ? Ou encore ainsi : et si le problème des écrans, c’étaient les parents ? Article après article, on lit des informations sur les méfaits potentiels des écrans pour les enfants, sur la durée que passent les adolescents à scroller quotidiennement, sur les moyens de juguler ce temps. Tout récemment, les parents d’élèves d’une ville au sud de Dublin, Greystones, ont décidé, en concertation avec les écoles de la commune, d’interdire les smartphones à tous les enfants jusqu’au collège, à la maison comme dehors. Mais eux-mêmes, les adultes de Greystones, vont-ils limiter leur temps d’écran ? Vont-ils cesser de jouer à Candy Crush devant le JT ? Et, d’ailleurs, auraient-ils vraiment des raisons de le faire ?

De pire en pire

Pour la psychologue clinicienne américaine Catherine Steiner-Adair, consultante scolaire et autrice, qui rencontre des enfants, des parents et des éducateurs partout dans le monde, cela ne fait aucun doute : oui, les parents devraient décrocher de la lumière bleue en présence de leurs enfants. En 2013, elle a écrit un livre élu « essai de l’année » par le Wall Street Journal : The Big Disconnect (Harper, non traduit). Elle y raconte ses consultations avec des enfants et leurs parents. Parmi les propos rapportés, ceux d’Annabelle, 7 ans : « Mes parents sont tout le temps sur leur ordinateur ou sur leur téléphone. C’est très très frustrant, et je me sens seule. Quand mon papa est au téléphone, j’ai cette conversation dans ma tête : “Coucou ! Tu te souviens de moi ? Je suis ta fille ! Tu m’as eue parce que tu me voulais.” (…) Mais je ne leur dis pas parce qu’ils s’énerveraient. » La psychologue raconte aussi des enfants qui dessinent leurs parents un smartphone à la main ; des adultes qui ne voient pas leurs enfants à la sortie de l’école, trop occupés par l’écran ; un père qui s’énerve contre ses filles lorsqu’elles s’inquiètent qu’il envoie des SMS tout en conduisant sur une route de montagne…

Il vous reste 77.96% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.



Source
Catégorie article Politique

Ajouter un commentaire

Commentaires

Aucun commentaire n'a été posté pour l'instant.